C'est beau un couple
franco-japonais qui joue
:
trois pages inédites sur le
thème de la Coupe du Monde,
ou un résumé fort ludique des
principales préoccupations
de l'auteur...
Une belle manga d'amour :
« Aujourd'hui, je DOIS tomber
amoureux ! »
Première page de
 Une belle manga d'amour :
une illustration en rapport
avec un autre projet en cours,
le Royaume des Possibles,
consacré au Cambodge
Entretien avec
Frédéric Boilet
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que d'autres ont mis en place pour moi, qui ont largement fait leurs preuves et ont public et cause acquis (« visé-je le plus grand nombre ? »), ou vais-je m'efforcer d'apporter des réponses inédites, quelque chose de neuf, de plus personnel et donc risqué (« ne visé-je personne, sinon une poignée de lecteurs attentifs et curieux ? ») ?
L'appropriation paresseuse, et parfois cynique, de poncifs narratifs et graphiques me semble être le principe de nombre d'auteurs actuels de BD, et je lui préfère l'aventure du contre-pied, du dépassement des stéréotypes, de ce « retournement » qu'a si bien expliqué HITCHCOCK dans ses entretiens avec TRUFFAUT...

AL : Cette question de l'élitisme se pose de façon fondamentale dans tous les domaines de la pensée humaine. Voyez-vous cette opposition entre purisme et grand public comme une fatalité ?

FB : C'est un problème « vieux comme le monde », et le réalisateur Marcel BLUWAL en propose une version très claire dans un Mozart qu'il a réalisé pour la télévision française au début des années 80.
Selon lui, il y avait, dos à dos et chargés de l'éducation du gamin, le père MARTINI et Léopold MOZART. Le premier comparait le jeune MOZART à un caméléon, lui reprochant de prendre la couleur de l'étoffe sur laquelle il était posé, de gâcher son talent en cherchant à plaire. « C'est une manière de se rassurer, disait-il, un peu d'écume, du néant... ».
« Plaire », voilà précisément ce que Léopold, de son côté, imposait à son fils. « Sur cent auditeurs, disait-il, il y en a dix qui t'écoutent vraiment, les autres n'y entendent rien : ils ont de grandes oreilles, des oreilles d'âne, mais ce sont ces oreilles qu'il te faut chatouiller si tu ne veux pas vivre dans la misère ! ».
Ainsi, une fatalité est bien d'avoir à choisir entre Léopold et le père MARTINI, entre confort financier et sincérité, entre flatterie et misère, entre œuvre commerciale et œuvre d'auteur. La perspective d'une vie misérable ne m'a jamais franchement effrayé, j'y ai plus ou moins échappé jusqu'à aujourd'hui,

comme j'ai échappé (de justesse !) aux bonnes raisons d'adapter mon propos au plus grand nombre, de plaire aux « grandes oreilles ». Je sais aujourd'hui, par expérience et parce que je l'ai testé au début de ma carrière chez Bayard ou Glénat, que je ne tire aucune satisfaction à utiliser des recettes censées ratisser large, pour constater ensuite que ça marche, que les « oreilles d'ânes » tombent immanquablement dans le panneau... Ce qui me fait avancer depuis plus de dix ans, c'est la qualité d'un échange bien plus que sa quantité : il est clair que cette qualité décroît proportionnellement à l'augmentation du nombre d'interlocuteurs, et viser le plus grand nombre revient immanquablement à « viser le petit pois », ce qu'on appelle ailleurs « plus petit dénominateur commun ». Bref, comme le père MARTINI, je pense qu'il existe un noyau, fondamentalement restreint, de gens qui sont « vos » lecteurs sur une œuvre, pour lesquels elle fera date dans leur vie : la tâche d'un auteur est de s'adresser à eux en priorité, au-delà des modes et des courants, le reste est sans importance et affaire d'éditeur. Cela dit, je reconnais qu'il existe quelques créateurs, rares, qui ont le « don » de parler au grand public...

AL : Ce don de s'adresser au grand public représente-t-il une plus grande force que la démarche du puriste ?

FB : SPIELBERG a-t-il fait plus pour le cinéma que MARKER ? Il s'agit de deux compétences différentes et qui ne sont pas interchangeables. Cependant, j'ai le sentiment que dans la plupart des cas, la vraie difficulté se trouvant dans le souci d'éviter modes et poncifs, les démarches de séduction reviennent à une facilité, une faiblesse ou une incompétence... J'y vois surtout le mépris, toujours en filigrane, pour ce même public, et c'est précisément tout ce que je fuis. Un vendeur parisien du rayon BD d'une célèbre chaîne de librairies, agacé par le contenu exigeant du premier numéro du magazine « l'Indispensable », écrivait dans un courriel au rédacteur en chef : « La

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Entretien paru dans AnimeLand nº 43 (été 1998)
Propos recueillis par Ilan Nguyên
© 1998 AnimeLand / Frédéric Boilet