Les Humanoïdes Associés
1990
Ego comme X
2004
  Pour son deuxième livre en solo, Frédéric Boilet a choisi de vivre lui-même l'aventure qu'il relatait, et d'avancer dans son récit avant d'en connaître le dénouement. 36 15 Alexia commence par une rencontre sur minitel. Elle est mannequin professionnel ; il lui arrache des confidences qui exacerbent son désir, mais qui vont peu à peu se révéler mensongères. Alexia s'offre et se dérobe, elle promet et ne tient pas, elle se laisse filmer mais n'honore pas ses rendez-vous. Elle prendra finalement l'initiative de la rupture, mais, la fiction ayant des droits sur le réel, c'est au dessinateur qu'il appartient de doter l'album d'un fin qui l'agrée.

Moderne dans son propos comme dans sa forme, 36 15 Alexia fait l'objet d'une mise en abyme astucieuse, et procède par ruptures de style successives. Boilet démontre avec un réel brio la plasticité d'un médium qui sait faire fusionner les catégories du vrai et de l'imaginaire. Sans doute vient-il de signer l'une des premières bandes dessinées portant la marque des années 90.

Article de Thierry Groensteen
paru dans Le Monde du 2 mars 1990

  Marcello, un dessinateur de BD, se sert du minitel pour rencontrer une jeune femme, Alexia, et en faire la matière de son album. Nous avons ainsi deux mises en abyme du récit : l'une par Marcello, l'auteur de la BD dans la BD, et l'autre par Boilet lui-même qui dessine cet album basé sur son expérience personnelle. Ces deux mises en abyme se différencient par l'usage de la couleur pour le récit initial, celui de la rencontre avec Alexia...

  Au delà des clichés, Boilet pénètre cet univers et cette réalité des messageries télématiques et nous plonge dans une histoire d'amour intimiste. Toujours dans cette optique du réel, l'érotisme est également présent bien sûr dans cet album ; à la fois franc et direct, mais sans excès de "voyeurisme" !
  Une thématique que l'on retrouvera dans les albums ultérieurs de Frédéric Boilet...

  Le dessin de Boilet s'appuie sur un travail photographique (toujours par souci de cette réalité qui le fascine), auquel son trait et ses couleurs apportent une chaleur et un style "BD" (petits codes d'expression, etc.).
  On remarquera dans la mise en scène (très cinématographique), au moment de la rencontre concrète avec Alexia, que le chapitre entier est "filmé" en "caméra subjective" - de l'œil du personnage en d'autres termes - ; un principe que reprendra Frédéric Boilet sur l'intégralité de son album japonais l'Épinard de Yukiko dix ans plus tard.

  36 15 Alexia est un album totalement convaincant et s'est révélé être une confirmation à l'époque, après le Rayon vert, du grand talent de Frédéric Boilet. Talent novateur qui ne s'est pas démenti depuis...
  Outre les qualités intrinsèques de l'album et sa place dans l'œuvre de Frédéric Boilet, 36 15 Alexia pourra rester aussi comme un témoignage de cette époque du minitel rose en France...

Article de François Boudet pour le site Cyborg