Sommaire :
 
Page 1 :  Naissance du terme Nouvelle Manga
Page 2 :  Emploi au féminin / « Traductions de Papa »
Page 3 :  Kôdansha & Casterman
Page 4 :  Ego comme X / L'association art-Link / Origines de l'événement
Page 5 :  L'exposition aux Beaux-Arts de Tôkyô / La Maison de la Nouvelle Manga
Page 6 :  L'exposition Fabrice Neaud / La conférence / Mobilisation des médias
Page 7 :  L'Épinard de Yukiko / Conclusions
  JB : En définitive, l'utilisation du féminin pour manga serait une sorte de « stratégie de communication » pour se démarquer du manga commercial, pour adolescents ?
  Penses-tu que ce glissement de genre symbolique est un préalable indispensable à la reconnaissance de la
manga d'auteur en France ?

  FB : Indispensable, peut-être pas, mais à mes yeux pas superflu.
  Vois-donc les récents articles français sur le Journal de mon père de Jirô Taniguchi parus en dehors de la presse spécialisée. Ils montrent tous, sans exception, l'embarras des médias, leur difficulté à employer le mot manga pour désigner une bande dessinée japonaise mature de qualité : « Aux antipodes du manga » lit-on ici, « anti-mangaka » voit-on là...
  Je n'y suis pour rien dans les préjugés très forts vissés au mot manga au masculin, de même que je n'ai pas inventé l'emploi au féminin, ni son histoire et son antériorité à l'emploi au masculin et donc aux préjugés...
  Une réhabilitation de l'emploi au féminin ne serait rien d'autre qu'un clin d'œil, un signal, un outil supplémentaire très simple pour aider à contourner les barrières...
  Libre aux lecteurs, aux journalistes, aux éditeurs, de l'utiliser ou pas, mais pour moi, le mot manga, et tout ce qu'il rassemble, tout ce qu'il évoque, est suffisamment beau et fort pour mériter, en français, l'emploi aux deux genres. Tout comme les mots « amour » ou « œuvre »...

  JB : Toi-même, qui te réclames de François Truffaut dans ta démarche, et cites la Nouvelle Vague dans tes bandes dessinées (Jean-Pierre Léaud apparaît dans Love Hotel et est, semble-t-il, la première personne séduite par Yukiko dans l'Épinard...), dans quelle mesure y as-tu puisé ton inspiration pour le Manifeste de la Nouvelle Manga ? Il ressemble à s'y méprendre à un manifeste contre la « bande dessinée de Papa »...

  FB : Je ne me réclame pas de François Truffaut, je n'ai ni sa caution ni sa bénédiction ! Mais je le cite souvent, c'est vrai. Comment faire autrement avec un artiste de cette envergure ? En tant que cinéaste, critique et théoricien, François Truffaut a peu d'égal, ses films et ses écrits sont une constante source d'inspiration pour moi.

  Le Manifeste de la Nouvelle Manga n'est pas un manifeste contre la « bande dessinée de Papa » : nombre d'auteurs de talent ne m'ont pas attendu, depuis dix ans et même dans les années 80, pour se bagarrer, parfois avec brio, contre la bande dessinée commerciale « qualité France » !
  Ce sont plutôt « les traductions de Papa » que mon texte vise, sur un terrain international franco-japonais où les décisions éditoriales des uns sont essentiellement guidées par les succès de vente des autres, les vraies informations finalement rares et les contradicteurs quasiment aphones : entre ceux qui tiennent les rênes de ce marché et l'orientent à leur guise d'un côté et les rares observateurs privilégiés qui se taisent de l'autre (je pense aux quelques Français du Japon plus ou moins dans le monde du dessin animé ou de la manga, aux personnels d'ambassades et d'instituts des deux pays, aux Japonais de France traducteurs ou liés à des éditeurs), je ne me suis pas lancé dans l'aventure Nouvelle Manga par plaisir mais seulement par devoir, et parce que personne ne fait rien.

  JB : N'est-ce vraiment qu'un devoir ? N'est-ce pas aussi par passion, par ce goût de l'échange et de l'aventure que tu évoquais plus haut ?

  FB : Ma vocation est de raconter des histoires, et pas de faire le zouave entre les marchés français et japonais. Une opération comme l'Événement Nouvelle Manga de Tôkyô est le fruit des efforts de plus de 40 personnes, toutes bénévoles, sur toute une année. Moi-même, j'ai dû abandonner mon travail d'auteur début juillet dernier pour me consacrer à plein temps et gratuitement aux préparatifs de l'événement, nous sommes début novembre et je n'ai toujours pas repris le fil de ce travail.
  Tout le temps, toute l'énergie consacrés à la Nouvelle Manga sont pris sur mes activités d'auteur, et franchement je m'en passerais bien ! Au final, j'agis donc surtout par devoir : les rayons manga des librairies françaises et leurs homologues « french comic » de quelques librairies d'import de Tôkyô peuvent plaire à certains, en faire sourire d'autres ou les laisser indifférents, moi ils m'obligent à réagir !

  JB : Le cinéma et la bande dessinée ayant à peu près le même âge, on peut aussi se demander ce qui a retenu la bande dessinée franco-belge en chemin ?
  De même, au Japon, la
manga « alternative » semble plus ancienne. Est-ce le cas ?

  FB : Garo, la revue phare de la manga d'auteur, vient d'avoir 37 ans...

  Le cinéma célébrait récemment ses 100 ans d'existence, dont grosso modo 80 bonnes années en tant qu'industrie, tandis que la BD franco-belge industrielle moderne, tout comme la manga d'ailleurs, sont plutôt soixantenaires, avec 30 premières années centrées sur le seul marché des enfants et adolescents.
  Benoît Peeters et Thierry Groensteen situent les origines de la BD aux récits en images de Rodolphe Töpffer au début du 19e siècle, les experts japonais eux aussi pensent que la manga est plus que centenaire, mais au fond la BD et la manga industrielles « adultes » ont tout au plus 35 à 40 ans d'expérience...

  La question, pour moi, serait de se demander ce qui a freiné la BD franco-belge par rapport à la manga. Et la réponse pourrait être un manque de foi, d'ambition...
  Et un manque de talent ? Mais pas seulement de la part des auteurs : des éditeurs comme Glénat ou Dargaud tout au long des années 80, renforcés plus tard par des Delcourt ou Soleil, sont à mes yeux les premiers responsables de l'assoupissement de la bande dessinée franco-belge. Il y avait un formidable élan créatif et prometteur à la fin des années 70, ils ont quand même réussi l'exploit de le stopper net, et pour près de quinze ans !

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Copyright © 2001 Julien Bastide / Frédéric Boilet
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