Une belle manga d'amour :
aléas des rencontres et jeu
du dialogue...
Une des illustrations
originales extraites de
Prisonnier des Japonaises,
publiées dans le mensuel
« Big Comic ».
Thème et intitulé de
cette très belle image :
Love Hotel
Yoshiharu TSUGE
Munô no Hito,
(l'Homme sans talent) :
un auteur alternatif
de référence
dont les œuvres, entre
récitatif et contemplation,
sont encore ignorées
en France
Entretien avec
Frédéric Boilet
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L'aide de Benoît PEETERS me fut par la suite indispensable pour mener à bien, sur d'autres albums, et de façon plus équilibrée, plus lucide, ce type de création. Il m'aura fallu plusieurs années à ses côtés pour que j'aie le courage, aujourd'hui, de relancer la terrible « machine à vérifier » en solo : il s'agit d'un nouveau projet de bande dessinée quasi autobiographique intitulé Yukiko no Hôrensô (l'Épinard de Yukiko) pour Kôrinsha, mon étonnant éditeur japonais. J'en ai achevé le scénario et commencé, en avril dernier, le dessin des 86 pages couleurs. Ici, comme auparavant, les implications personnelles sont nombreuses, mais le temps et l'expérience semblent me permettre aujourd'hui de mener les choses de façon plus sereine, plus harmonieuse...

AL : Peut-on assimiler la création à un processus d'extériorisation ?

FB : La publication de 36 15 Alexia fut effectivement pour moi une sorte de délivrance. J'étais allé trop loin pour trouver ce scénario, la création de l'ouvrage avait eu tant d'implications dans ma vie personnelle qu'il ne me restait d'autres choix, pour en sortir, que de faire le livre : une manière d'en finir et de « tourner la page ».
La création des albums suivants fut par bonheur moins chaotique, leur publication ne fut pas une délivrance, mais un accomplissement...

AL : Il est d'usage de distinguer, en BD comme ailleurs, entre œuvres d'auteurs et produits de commande, « commerciaux ». Mais en matière de création, contraintes et concessions ne se présentent-elles pas de façon incontournable ?

FB : Certaines contraintes me semblent plus acceptables que d'autres, comme celles relevant plus particulièrement de l'éditeur et touchant au format du livre ou à son nombre de pages... Voilà une contrainte que j'ai admise jusqu'à aujourd'hui, la rejeter m'eût interdit de vivre de ce seul métier d'auteur de BD - une de mes principales motivations -, m'obligeant à consacrer du temps, par exemple, à des travaux d'illustrations plus lucratifs ou à la pub. Il faut bien distinguer contrainte et concession. Une concession est un abandon face à la contrainte, et en ce sens elle me semble inacceptable. Mais en matière de création, une contrainte, si elle est bien comprise, peut déboucher sur tout autre chose qu'une concession, et devenir un tremplin, une sorte de déclencheur d'idées, de ces coups de génie ou de chance qu'il faut avoir pour contourner un obstacle !
Au fond, je ne vois qu'une contrainte véritablement insupportable, c'est celle qu'imposent certains éditeurs : l'obligation de vendre au plus grand nombre !
Étrangement, il aura fallu que je vienne m'installer au Japon pour trouver cet éditeur idéal qui me propose enfin « carte blanche », me demandant de réaliser un ouvrage, en toute liberté, sans m'imposer la moindre contrainte, pas même celle d'un format ou d'un nombre de pages... et ceci en échange de conditions financières tout à fait viables ! Il faut dire que cet éditeur, Kôrinsha, est un éditeur d'art, et non de manga : en France, il n'y a aucune interaction entre ces deux domaines éditoriaux.

AL : Alors qu'au Japon, depuis des années, le phénomène du media mix ne cesse de grandir, réduisant toujours davantage les cloisonnements formels...

FB : Les conditions que m'offre Kôrinsha sont celles qui sont faites à un artiste que l'on apprécie et en qui l'on a confiance : au-delà des questions pécuniaires, il s'agit surtout d'un suivi sur plusieurs albums, ce que ne m'a jamais offert le moindre éditeur français. Inestimable confiance : je peux envisager ici de faire le livre que j'ai toujours rêvé de faire, celui autour duquel, sans doute, tournent tous mes albums antérieurs...
Je suis également frappé par l'amour des livres bien faits et du travail soigné dont l'équipe éditoriale de Kôrinsha fait preuve, et que je ne peux qu'admirer. Leur recherche d'un rendu parfait leur a fait dépenser un temps et un argent imprévus pour les plus petits détails de la traduction de Tôkyô est mon jardin, et notamment une parfaite reproduction des trames de Jirô TANIGUCHI... À leurs côtés, j'ai véritablement le sentiment de faire un livre.
AL : Quels sont les principes qui conditionnent votre travail ?

FB : À chaque étape de la création d'une œuvre, et en BD des premiers mots d'un scénario au coup de pinceau final, se pose toujours la question du « poil » : vais-je « brosser dans le sens de » ou « prendre à rebrousse » ? Autrement dit, pour résoudre mes problèmes de scénario et de dessin, vais-je me contenter de reproduire des systèmes éprouvés et rassurants,

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Entretien paru dans AnimeLand nº 43 (été 1998)
Propos recueillis par Ilan Nguyên
© 1998 AnimeLand / Frédéric Boilet